II. Maurice Genevoix, gardien de la mémoire et porte-voix du monde combattant

Discours de Maurice Genevoix pour l’inauguration du Mémorial de Verdun le 17 septembre 1967. © Mémorial de Verdun Discours de Maurice Genevoix pour l’inauguration du Mémorial de Verdun le 17 septembre 1967. © Mémorial de Verdun

« Mes camarades, mes camarades. Il faut avoir senti, à la poussée d’un parapet contre l’épaule, la brutalité effrayante d’un percutant qui éclate ; avoir entendu pendant des heures, du fond de l’ombre, en reconnaissant toutes leurs voix, monter les gémissements des blessés ; avoir tenu contre soi un garçon de vingt ans la minute d’avant sain et fort, qu’une balle à la pointe du cœur n’a pas tué tout à fait sur le coup, et qui meurt, conscient, sans une plainte, les yeux ouverts et le visage paisible, mais de lentes larmes roulant sur ses joues. Vous étiez là, mes camarades. C’est pour vous, pour vous tous que je parle. Vous êtes là comme au premier jour. Et vous voyez : votre pays se souvient avec vous. Il sait qu’il faut vous respecter, vous entourer, vous remercier et vous croire. L’Histoire de France a besoin de vous ».

Ces mots sont prononcés par Maurice Genevoix le 18 juillet 1968, lors de la cérémonie célébrant le cinquantième anniversaire de la deuxième bataille de la Marne, cérémonie présidée par le général de Gaulle. Maurice Genevoix est alors la voix et la plume qui incarne le monde anciens combattants de la guerre 14-18.

Cela n’a cependant pas toujours été le cas. Durant l’Entre-deux-Guerres, Maurice Genevoix, écrivain combattant, garde ses distances vis-à-vis des associations d’anciens combattants et refuse de s’engager dans un courant politique et intellectuel porté par les vétérans. Durablement marqué par ce qu’il a vécu aux Éparges, l’auteur des cinq livres qui fusionneront plus tard dans Ceux de 14, n’est pas attiré par la politique et la polémique littéraire.

C’est aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, à un moment où la mémoire des anciens combattants de 14-18 est refoulée à l’arrière-plan que Maurice Genevoix acquiert la stature de porte-parole des poilus de la Grande Guerre. En 1946, il est élu à l’Académie française et trois ans plus tard est édité Ceux de 14. Maurice Genevoix devient alors le grand témoin du premier conflit mondial alors que les autres écrivains combattants tels Dorgelès ou Giono n’évoquent quasiment plus leurs souvenirs dans leurs écrits. Appuyé sur sa notoriété, l’homme prend sa plume pour rappeler les sacrifices des combattants de 14-18 menacés d’oubli. Pour ce faire, il rédige des articles de presse, notamment dans les quotidiens régionaux, et sollicite le mouvement ancien combattant dans lequel il s’investit en rédigeant de nombreux articles pour L’Almanach du Combattant.

En 1951, il devient le président-fondateur du Comité National du Souvenir de Verdun (CNSV), Verdun devenue symbole de la Grande Guerre dans la mémoire collective. Il préside alors de nombreuses commémorations officielles. Dans les années 1950 et surtout dans la décennie suivante, les anciens combattants le reconnaissent comme leur porte-parole par son engagement, son éloquence et la profondeur de ses récits de guerre dans lesquels les vétérans se retrouvent. En 1958, il devient Secrétaire perpétuel de l’Académie française. Peu de temps après, il s’investit dans le projet d’édification d’un Mémorial sur le champ de bataille de Verdun. En 1967, c’est avec la double étiquette de président-fondateur du CNSV et de Secrétaire perpétuel de l’Académie française qu’il prononce le discours inaugural du mémorial sorti de terre.