La revue scientifique

Dans l’ombre du bois des Caures, les combats de l’Herbebois

(21-23 février 1916)

Par Nicolas Czubak, responsable du Service éducatif et membre du Conseil d’orientation scientifique du Mémorial de Verdun

Le sous-lieutenant Mangin et les soldats Nain, Langlet et Jouan posent devant un abri de l’Herbebois en février 1916, quelques jours avant le déclenchement de l’offensive allemande. Source : Colonel Paquet, Dans l’attente de la ruée, Verdun (janvier-février 1916), Paris, 1928.

Des combats oubliés

Des premiers jours de la bataille de Verdun, on ne retient souvent, du côté français, que la défense héroïque par les 59e et 56e Bataillons de Chasseurs à Pied du lieutenant-colonel Driant au bois des Caures. S’il ne fait aucun doute que les chasseurs de Driant, confrontés à l’épreuve terrible du Trommelfeuer du 21 février 1916 et de l’assaut qui s’en suivit, ont joué un grand rôle pour ralentir la progression allemande, ils n’ont pas été, cependant, les seuls. Ainsi, la défense de l’Herbebois n’est-elle pas restée dans la mémoire collective alors que paradoxalement, celle-ci a duré plus longtemps qu’au bois des Caures. La renommée d’Émile Driant, ses craintes prémonitoires quant à une attaque contre Verdun et sa disparition au milieu de ses hommes le 22 février 1916 ont vite fait basculer dans l’ombre, involontairement, les combats menés de part et d’autre du bois des Caures.

La bataille pour l’Herbebois a vu, en outre, le premier engagement à Verdun du 24e Régiment d’infanterie (RI) allemand, devenu célèbre quelques jours plus tard pour la conquête du fort de Douaumont, le 25 février 1916.

L’Herbebois : une position dominante aux avancées de Verdun

En 1914, le massif boisé de l’Herbebois, prolongé au nord-ouest par celui de la Montagne a une superficie d’environ 275 hectares. Situé à deux kilomètres à l’est du bois des Caures, il se retrouve dans les premières lignes françaises avec la fixation du front à la fin de l’automne 1914. Le plateau qu’il couronne domine la plaine de la Woëvre à l’est et tient sous son contrôle direct Azannes et Grémilly, villages situés au nord-est occupés par les Allemands. La première ligne allemande passe au nord de sa lisière au lieu-dit « Cap de Bonne Espérance ».  Un grand ravin, appelé « Ravin de la Montagne » entaille le no man’s land, large de plus de 700 mètres, d’un profond sillon de près de 50 mètres de profondeur passant par la ferme abandonnée de Soumazannes.

L’Herbebois a la particularité d’accueillir un observatoire pour guider les tirs d’une pièce de marine, établie dans le ravin des Renards, ainsi qu’un poste d’écoute de la Section de Repérage par le Son, installé pour localiser les pièces d’artillerie lourdes allemandes frappant le front de Verdun.

Les positions françaises de l’Herbebois avant l’attaque du 21 février 1916. En rouge ont été indiqués les éléments de tranchées, les boyaux et les ouvrages, en bleu, les réseaux de fils de fer barbelés. Source : Service Historique de la Défense. Les positions françaises de l’Herbebois avant l’attaque du 21 février 1916. En rouge ont été indiqués les éléments de tranchées, les boyaux et les ouvrages, en bleu, les réseaux de fils de fer barbelés.
Source : Service Historique de la Défense.

Au début de février 1916, l’Herbebois voit un renforcement de ses positions défensives avec la perception des préparatifs de l’offensive allemande. Au moment où celle-ci se déclenche, le 21 février 1916, la configuration des positions françaises est la suivante : sur la lisière même de la forêt, un réseau de fils de fer barbelés continu a été posé, précédant une première ligne de positions discontinues. Plus en arrière, à environ 200 mètres dans la forêt, une ligne de soutien appuyée sur de petits ouvrages gabionnés* a été aménagée. De nombreuses mitrailleuses ont été positionnées pour renforcer la défense.

Le sous-lieutenant Mangin et les soldats Nain, Langlet et Jouan posent devant un abri de l’Herbebois en février 1916, quelques jours avant le déclenchement de l’offensive allemande. Source : Colonel Paquet, Dans l’attente de la ruée, Verdun (janvier-février 1916), Paris, 1928. Le sous-lieutenant Mangin et les soldats Nain, Langlet et Jouan posent devant un abri de l’Herbebois en février 1916, quelques jours avant le déclenchement de l’offensive allemande. Source : Colonel Paquet, Dans l’attente de la ruée, Verdun (janvier-février 1916), Paris, 1928.

Avec sa configuration topographique et ses aménagements défensifs, l’Herbebois constitue un objectif difficile à capturer. Ce sont les hommes de la 6e Division d’infanterie allemande, unité brandebourgeoise ramenée de Serbie pour participer à l’offensive contre Verdun, qui sont chargés de capturer le massif.

*Un ouvrage gabionné est un ouvrage construit ou renforcé avec des gabions. Un gabion est un cylindre tressé à l’aide de branchages rempli de terre et de gravats pour se protéger des balles et des éclats d’obus.

La résistance française la plus longue lors des premiers jours de la bataille (21-23 février 1916)

Le 2e bataillon du 164e RI, régiment de Verdun, occupe l’Herbebois lors du déclenchement de l’offensive. Il est appuyé par deux compagnies du 243e RI. D’autres compagnies issues des 233e et 327e RI sont établies en réserve prêtes à intervenir. En face, débouchant, du « Cap de Bonne Espérance », ce sont les 24e RI (à l’ouest) et 64e RI (à l’est) allemands qui doivent attaquer.

Le 21 février 1916, après le Trommelfeur qui s’abat de 7h15 à 16h, les Allemands passent à l’attaque. Leur objectif est de mettre pied dans les positions françaises en vue du véritable déclenchement de l’offensive prévu pour le lendemain.

L’attaque allemande du 21 février 1916. Source : Verdun 1916, actes du colloque international sur la bataille de Verdun, 6-7-8 juin 1975, Verdun 1976. L’attaque allemande du 21 février 1916.
Source : Verdun 1916, actes du colloque international sur la bataille de Verdun, 6-7-8 juin 1975, Verdun 1976.

Précédés de Stosstruppen et accompagnés de détachements de lance-flammes, les Allemands parviennent à atteindre la lisière et à capturer la première ligne française. Par contre, ils éprouvent les plus grandes difficultés à progresser dans la forêt sous les tirs ennemis, empêtrés au milieu des arbres abattus par le bombardement ainsi que dans les réseaux de fils de fer. Le combat est violent et se prolonge dans la nuit pour le contrôle des ouvrages gabionnés qui restent, en grande partie, aux mains des Français. Les Allemands se retranchent sur le terrain conquis. Du côté français, des compagnies des 233e et 327e RI arrivent en renfort pour soutenir la défense.

La situation de la ligne de front le 21 février 1916 à minuit. Source : Colonel Paquet, Dans l’attente de la ruée, Verdun (janvier-février 1916), Paris, 1928. La situation de la ligne de front le 21 février 1916 à minuit.
Source : Colonel Paquet, Dans l’attente de la ruée, Verdun (janvier-février 1916), Paris, 1928.

Le 22 février à 7h du matin, le bombardement allemand reprend avec force. Le bois de Ville, situé entre le bois des Caures et l’Herbebois est particulièrement visé. A midi, l’offensive allemande est relancée de la Meuse à l’Herbebois. Là, quatre bataillons des 24e et 64e RI allemands passent à nouveau à l’attaque dans les sous-bois appuyés par des détachements du Sturmabteilung Rohr et des lance-flammes, sans succès. Les efforts ont été particulièrement portés contre les parties nord-ouest et nord-est de la forêt, en vain. La progression a atteint au maximum 400 mètres. La conquête de l’Herbebois est loin d’être achevée. Le Reicharchiv note : « Les régiments de 6e division, qui venaient de mener à travers la Serbie un assaut de victoire, sont là, accablés et impuissants ! ».

S’ils sont stoppés par la résistance acharnée des Français dans l’Herbebois, les Allemands réussissent dans la journée à conquérir Haumont et le bois de Ville leur permettant de prendre à revers le bois des Caures qui est finalement conquis en fin de journée. Risquant d’être débordés à l’ouest, la situation des Français devient critique dans l’Herbebois.

Dans la soirée, l’ensemble de l’artillerie française, menacée, se replie plus au sud, privant désormais de soutien les fantassins de l’Herbebois. Du côté allemand au contraire, l’activité des canons reste très vive toute la nuit du 22 au 23 février.

Le 23 février, l’artillerie allemande frappe avec force les positions françaises. Le général commandant la 6e Division allemande, Richard Herhudt von Rohden, a ordonné la prise du bois « sans égard pour les pertes ». Entre 11h et 12h, les canons allemands s’acharnent afin d’ouvrir la voie aux fantassins. À midi, les hommes des 24e et 64e RI appuyés par les Sturmtruppen de Rohr, repartent à l’assaut. Les combats sont très violents. Les mitrailleuses infligent de lourdes pertes aux assaillants. Mais débordés, les Français se replient au sud du ravin des Renards, grande coupure qui entaille d’ouest en est le massif de l’Herbebois. Leurs poursuivants ne peuvent dépasser le ravin arrêtés sous le feu croisé des armes automatiques.

L’abandon de l’Herbebois (23 février en soirée)

L’Herbebois est loin d’être conquis par les troupes allemandes. Cependant, plus à l’ouest, elles ont réussi à conquérir le bois de la Wavrille d’où elles peuvent prendre sous leurs feux les débouchés sud du massif forestier. La situation des Français est totalement compromise. Ordre est donné par l’état-major de la 51e Division du général Boulangé d’abandonner l’Herbebois. Celui-ci est évacué à la tombée de la nuit du 23 au 24 février 1916. Les pertes ont été lourdes de part et d’autre : environ 1 200 hommes ont été tués, blessés ou portés disparus chez les Français, 1 100 du côté allemand.

La 6e Division allemande a mis trois jours pour parcourir 1800 mètres. Elle a dû faire face à la résistance la plus longue qui a été opposée à l’armée allemande lors des premiers jours de la bataille de Verdun. Du côté français, ceux qui ont survécu à ces combats ou qui ont échappé à la captivité se regroupent pour quelques heures de repos à Louvemont, au sud de la ferme des Chambrettes ainsi qu’au bois des Fosses, avant de se replier. Pour les unités allemandes de l’Herbebois, la progression se poursuit le lendemain et le surlendemain les amenant, en ce qui concerne le 24e Régiment d’infanterie allemande à la conquête, là facile, du fort de Douaumont…

Sources

Bibliographie

  • Carrias (E.), Souvenirs de Verdun. Sur les deux rives de la Meuse avec le 164e RI, Mercuès, 2009.
  • Goutard (A.), « Verdun 21 février – 4 mars 1916 : le contraire d’une ruée », in Verdun 1916, actes du colloque international sur la bataille de Verdun, 6-7-8 juin 1975, Verdun, 1976.
  • Laparra (J.-C.), Hesse (P.), Le Sturmbataillon Rohr, 1916-1918, Paris, 2010.
  • Paquet (C.), Dans l’attente de la ruée, Verdun (janvier-février 1916), Paris, 1928.

Archives

  • Ministère de la Guerre, Les Armées françaises dans la Grande Guerre, Tome IV, 1er volume, Paris, 1927.
  • Reicharchiv, Die Tragödie von Verdun 1916, 1ère partie, Berlin, 1928.