Carnet de croquis, Anonyme – France
Carton entoilé, encre de Chine et aquarelle sur papier, 1915.
Don de Madame Sally Emery, 2018.
Carton entoilé, encre de Chine et aquarelle sur papier, 1915.
Don de Madame Sally Emery, 2018.
Ce carnet de croquis contient une trentaine de dessins peints à l’encre de Chine et à l’aquarelle, représentant d’un trait fin, la vie d’une troupe en cantonnement.
Si nous ne connaissons pas l’auteur de ce carnet, plusieurs éléments permettent cependant de dater et localiser les scènes représentées. Une datation retrouvée sur un dessin, deux localités mentionnées en bas de de deux autres, la végétation représentée, ainsi que les uniformes peints, permettent d’affirmer que l’auteur se trouvait dans la plaine de la Woëvre, dans les environs du village de Manheulles durant l’été 1915.
Par ailleurs, dans plusieurs dessins, l’auteur s’attache à croquer des scènes de vie de la « 19e compagnie », ce qui nous laisse supposer qu’il s’agissait de son unité. L’auteur aurait donc appartenu à un régiment de réserve. À cette période, c’est la 132e Division d’infanterie (DI) qui occupait cette partie du front. Il aurait donc été affecté au 303e, au 330e, au 364e ou bien encore au 366e Régiment d’infanterie (RI).
Dans les forêts de l’immédiat arrière-front français en Woëvre en 1915, les cantonnements se consolident, comme au bois de Manheulles au nord du village éponyme, théâtre des scènes représentées sur les croquis. L’auteur y dépeint un florilège, non exhaustif, des activités et occupations qui structurent les deux à trois jours de répit du combattant au cantonnement.
L’auteur croque ces moments pris sur le vif, avec une touche d’humour qui contraste avec la réalité des combats. On remarque par exemples un soldat qui visite le barbier, d’autres profitant de la nourriture de la cuisine roulante, certains lisant les nouvelles des journaux ou d’autres assistant à une messe catholique. Ces temps de pause peuvent aussi être consacrés à la rédaction du courrier, à l’artisanat de tranchée et à la production artistique pour certains, comme en témoigne cet objet. L’auteur n’hésite pas à y exprimer son patriotisme, en raillant l’Allemagne et ses alliés. Des soldats allemands sont ainsi grimés en cochon et l’empereur Guillaume II y est moqué pour ses prétendues victoires militaires.
Pour autant, les soldats en cantonnement ne sont pas oisifs et leurs journées sont régies par un emploi du temps rigoureux, rythmé autour des corvées et exercices militaires. Là encore, l’artiste anonyme dépeint ces travaux, du simple nettoyage du camp, à la préparation de la nourriture commune ou encore la confection de gabions qui seront transportés de nuit dans les tranchées pour les consolider. Plusieurs croquis montrent des soldats en armes effectuant des manœuvres militaires, des patrouilles ventre à terre, des revues…. Les officiers craignent le désœuvrement et les exercices sont nécessaires au maintien de la forme physique et à la discipline militaire. La guerre n’est en effet jamais loin, comme le rappellent les tirs d’artillerie adverses qui frappent ponctuellement ces cantonnements.
Cet objet personnel constitue un beau témoignage sur les conditions de vie et l’état d’esprit des hommes dans les cantonnements du front de la Woëvre, partie du front méconnue.
La conservation et son acquisition
Ce carnet de croquis est composé de matériaux présentant chacun des risques de dégradation en cas de mauvaise conservation. Principalement constitué de papier, ce carnet de croquis risque de s’endommager ou de subir des pertes en cas d’instabilité de la matière ou lorsque les conditions ambiantes, la manipulation ou la mise en réserves sont inadéquates.
Le papier est un enchevêtrement de fibres d’origine végétale, comme le coton, la paille ou le bois. La durée de vie du papier dépend de la nature des fibres qu’il contient et de la méthode de fabrication. Selon la qualité des fibres et le traitement subi par le papier au cours de sa fabrication, la détérioration chimique interviendra plus ou moins rapidement. À plus ou moins long terme, la résistance physique du papier peut diminuer et son aspect s’altérer laissant place à un jaunissement généralisé.
Tout comme le papier, la matière picturale peut subir des détériorations, des dommages ou des pertes. L’aquarelle en l’occurrence, est une mince couche transparente de peinture en pigments liée généralement à de la gomme arabique. Appliquée sur le papier après avoir été délayée dans l’eau, son risque d’instabilité réside dans le choix des pigments utilisés. Extrêmement sensible à la lumière, une décoloration peut survenir rapidement lorsque l’œuvre est exposée sur une longue période.
Lors de la mise en réserve, le carnet doit être protégé de la poussière pouvant attirer les insectes nuisibles. Conditionné dans une boîte de conservation en polypropylène ou en carton permanent, il est ensuite emballé dans une pochette à rabats en papier permanent. Afin d’éviter les transferts d’agents chimiques, chaque page est protégée de la suivante par une interface en papier de soie. Une température aux alentours de 20°C ralentira les réactions chimiques pouvant entraîner la dégradation du papier. De même, maintenir une humidité relative inférieure à 60%, préviendra l’apparition de moisissures et la perte structurelle du papier.
Cet objet fut donné au Comité National du Souvenir de Verdun, propriétaire des collections du Mémorial de Verdun, en octobre 2018 par Madame Sally Emery.
Fiche technique
Technique : carton entoilé, encre de chine et aquarelle sur papier
Dimensions : 16 x 10 cm (l x h)
Acquisition : Donné en octobre 2018 par Mme. Sally Emery au Comité National du Souvenir de Verdun.
Numéro d’inventaire : 2018.41.1
Le front de la Woëvre en 1914-1915
Situé à une quinzaine de kilomètres au sud-est de Verdun, Manheulles s’est retrouvé, après deux mois de violents combats en octobre et novembre 1914, dans l’immédiat arrière-front français, à 6-7 kilomètres de la première ligne allemande. Cette dernière passe alors de la crête des Éparges à Étain en serpentant devant Saulx-lès-Champlon, Marchéville-en-Woëvre, Maizeray, Pareid, Parfondrupt, Buzy, Boinville et Warcq.
L’hiver 1914-1915 voit une relative accalmie sur cette partie du front, les soldats des deux camps devant composer avec le terrain détrempé et marécageux de la Woëvre.
Du 5 au 14 avril 1915, alors que le front continue à rester calme au nord de Verdun, les Français passent à l’offensive de la crête des Éparges aux portes d’Étain, dans le cadre de la tentative de réduction du saillant de Saint-Mihiel décidée par le Grand Quartier Général. Le secret étant éventé, l’opération est un désastre sous le feu nourri des défenseurs allemands et les trombes de pluie qui ennoient des pans entiers de la Woëvre. Lors de cette grande offensive, la division de Morlaincourt (premier nom donné à la 132e DI en reprenant le patronyme de son commandant) a attaqué en vain le village de Marchéville-en-Woëvre et la cote 233, pli de terrain aux portes sud-ouest du village. C’est lors de ces combats que disparait dans la nuit du 7 au 8 avril 1915, l’auteur Louis Pergaud, dont la malle et les effets personnels sont exposés au Mémorial de Verdun.
Après ce cinglant échec qui a coûté en un mois 64 000 hommes (tués, blessés, prisonniers, malades) à l’armée française dans l’ensemble des opérations menées en Woëvre, le front s’apaise à nouveau jusqu’à la fin de l’année 1915.
Un espace évacué par les Français avec le déclenchement de la bataille de Verdun (fin février 1916)
Quelques jours après le déclenchement de la bataille de Verdun, le général de Langle de Cary, commandant le Groupe d’armées du centre dont dépendait la RFV, ordonne, dans la soirée du 24 février 1916, le repli des troupes françaises présentes dans la Woëvre à l’est de Verdun, repli qui doit s’arrêter dans les villages au pied des Côtes de Meuse. Le cantonnement du bois de Manheulles, représenté par notre auteur, est alors abandonné aux Allemands qui s’emparent le 28 février 1916 du village éponyme. Ils n’iront cependant pas plus loin.
Le village de Manheulles est repris par les troupes américaines de la 4th Division le 14 septembre 1918. Quant au bois, il est l’enjeu de combats les 9 et 11 novembre 1918, date à laquelle les Sammies de la 81st Division réussissent à pénétrer dans la partie sud du massif forestier.
Il aurait été formidable qu’un carnet de croquis d’un combattant allemand nous soit parvenu afin de réaliser un regard croisé sur cette partie du front…
La vie au cantonnement, au Mémorial de Verdun
À quelques kilomètres du front de Verdun, la vie au cantonnement est rythmée par les exercices, les corvées, le courrier et un peu de repos. Les officiers craignent le désœuvrement : ils établissent des emplois du temps rigoureux contre lesquels les hommes récriminent. Souvent installés dans un village, ils dorment dans la paille et en profitent pour se laver, se débarrasser des poux, désinfecter leur linge. Ils se groupent autour des cuisines roulantes où les repas chauffent pour une compagnie. Les menus se résument en général à un plat unique, complété par leurs achats dans les camions-bazar ou les colis reçus. Dès 1916, les soldats allemands subissent les effets du blocus imposé par les Alliés, même si leur approvisionnement reste prioritaire sur celui des civils. Pour améliorer le quotidien, ils élèvent cochons et volailles. L’alcool dont la consommation est contrôlée, permet une certaine décompression pour tous.
De nombreux soldats exercent un métier manuel dans la vie civile : il leur est naturel de transformer les matériaux de la guerre en objets utiles ou en souvenirs. Le métal fournit des porte-plumes, coupe-papiers, crucifix faits d’éclats d’obus. Les soldats allemands ont interdiction de récupérer le métal : ils s’emparent de la craie, de la cire ou du bois. D’autres dessinent ou peignent, nous laissent des témoignages émouvants de leurs talents.
Aux côtés des soldats, les aumôniers prodiguent soutien et réconfort. Souvent brancardiers, ils servent aussi comme simples soldats ou officiers. Les pratiques de dévotion sont nombreuses : beaucoup d’hommes prient et participent aux offices, tandis que d’autres à l’épreuve de la guerre, rejettent la foi.
Autour d’une cuisine roulante française, une installation présente le quotidien et les jeux favoris des soldats. Menus et répertoire de l’argot des Poilus sont mis à disposition…
Une vitrine présente un ensemble d’objets d’artisanat qui révèlent l’état d’esprit et les talents de certains soldats.
Découvrez cet objet en vidéo avec le troisième épisode de la web-série Découverte des collections !
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