Fusil modèle 1874 M 80/M 14 « Gras » d’infanterie – France
Manufacture d’armes de Saint-Étienne
Noyer verni, acier, 1874.
Achat, 2020.
Noyer verni, acier, 1874.
Achat, 2020.
Durant la Première Guerre mondiale, outre les célèbres armes d’épaule Lebel et Berthier, l’armée française a mis à la disposition de ses fantassins, des fusils de seconde catégorie : les modèles 1874 « Gras », armes individuelles moins répandues, à la conception et à l’utilisation particulières.
Sous l’initiative du polytechnicien Basile Gras, capitaine dans l’armée, deux versions du « fusil Gras » sortent d’usine au lendemain de la défaite de 1871. La première, sous l’appellation « modèle 1866-74 », est issue de la modification du fusil « Chassepot » modèle 1866. Environ 1 700 000 armes de ce type ont été fabriquées. La seconde version, produite à environ 2 250 000 unités, regroupe les exemplaires sortis neuf d’usine sous la dénomination « modèle 1874 » ou « fusil Gras ». Les deux versions de l’arme sont destinées à accueillir des cartouches métalliques de 11 mm.
La pièce acquise par le Mémorial de Verdun est un modèle 1874. Fabriquée dans les manufactures d’armes de Saint-Étienne, elle a la particularité de posséder deux modifications signifiées par les marquages « M 80 » et « M 14 ».
En 1880, une première transformation intervient sur notre fusil. Après une série de tests, il s’avère que le culot, situé sur la culasse, peut céder, provoquant ainsi un dégagement gazeux important pouvant entraîner des blessures au tireur. La modification « M 80 » corrige ce dysfonctionnement en agrandissant et approfondissant la rigole d’évacuation des gaz.
Une dernière modification est effectuée en 1914. Il s’agit principalement de l’adaptation du canon pour la cartouche Lebel « D » de 8 mm, munition plus performante. On note aussi l’ajout d’un garde-main en bois au niveau de la hausse, élément visible sur notre objet, permettant d’identifier rapidement un « M 14 ». Cette dernière transformation répond à une pénurie de fusils Lebel survenue au début de la guerre, à l’automne 1914. Pour pallier à ce manque, les autorités militaires réquisitionnent les fusils Lebel des unités de l’arrière, du Génie et de certaines troupes venues d’Afrique. Les unités de l’arrière dépossédées de leur armement individuel se voient alors dotées du fusil Gras « M 14 », la transformation d’armes étant jugée moins coûteuse et plus rapide en termes de livraison que la fabrication de nouveaux fusils Lebel, dont la production a été stoppée depuis 1904.
On retrouve ainsi notre fusil dans les mains de gardes républicains, d’automobilistes, de sapeurs-pompiers de Paris et de soldats de l’infanterie territoriale.
Le fusil « Gras » reste opérationnel durant toute la durée du conflit et son utilisation perdure, dans des cas très précis, jusqu’en 1940. Un stock de 450 000 « M 80 » a même été envoyé à la Russie tsariste en 1915.
Des mousquetons « Gras », armes plus courtes, ont été également utilisés par l’artillerie et la gendarmerie.
La conservation et son acquisition
Cet achat datant de septembre 2020 soulève la question des collections d’armements dans les institutions muséales. Ces ensembles présentent en effet diverses modalités d’acquisition et d’exposition mais ils remettent également en question certains principes déontologiques de conservation.
La neutralisation d’une arme est la principale problématique soulevée… mais comment savoir si une arme est neutralisée ou non ? Depuis 1978, la neutralisation de toutes les armes de petit calibre est centralisée au Banc National d’Épreuve de Saint-Étienne. Une fois l’opération menée à bien, l’organisme appose généralement son poinçon sur les parties métalliques. Ces modifications sont irréversibles, l’objet dès lors est comme soudé en bloc : le levier d’armement, le chien, la détente, le chargeur… ne peuvent plus être actionnés ni désolidarisés.
Les changements engendrés ne permettent pas de conserver l’objet dans son état original, allant à l’encontre de la mission déontologique principale de la conservation. De nombreux musées s’interrogent donc aujourd’hui et font parfois le choix de ne plus neutraliser les armes (sauf obligation légale).
Dès lors, il est nécessaire pour le chargé des collections de maîtriser parfaitement la réglementation en vigueur quant à la détention et l’exposition des armes à feu. En France, l’armement est classé en quatre catégories allant des armes interdites (catégorie A) aux armes dites libres (catégorie D2). Le fusil « Gras », intégré récemment à nos collections à la suite d’un achat à la maison de ventes Brioult Enchères, entre dans cette dernière catégorie : c’est une arme d’un modèle antérieur à 1900 comportant des modifications non substantielles postérieures à cette date[1]. Pour autant, ne présentant pas de poinçon, le retrait d’une pièce du mécanisme de mise à feu sera une condition sine qua non lors de sa mise en exposition.
Pour sa conservation en réserve ou lors de son exposition, il sera primordial de surveiller l’humidité relative de son environnement. Le bois est verni pour le moment (une restauration est prévue afin d’ôter ce vernis), il est donc protégé des dégradations principales dues aux insectes ou aux variations de thermo-hygrométrie. Le métal, en revanche, reste vulnérable et est avant tout sensible aux fluctuations de son climat environnant : en cas de fort taux d’humidité, le métal risque de se corroder. Lors de sa manipulation, il est également important de porter des gants : souvent omises, les empreintes digitales peuvent laisser des traces indélébiles d’oxydation.
[1] Classement du fusil « Gras » modèle 1874 M14 et des mousquetons modèles 1886-93 M27 et 1886-93 R35
Fiche technique
Matériaux et techniques : noyer verni, acier moulé
Dimension : 128, 7 cm de longueur
Acquisition : Acheté en septembre 2020 à la maison de ventes Brioult Enchères (Vernon) par le Comité National du Souvenir de Verdun.
Numéro d’inventaire : 2021.4.1
Le fusil « Gras » modèle 1874 M 80/M 14 : un fusil utilisé par l’armée territoriale française
Les fusils d’un modèle plus ancien tels le fusil « Gras » modèle 1874 M80, ou bien encore M80/ M14 comme notre objet du mois, équipaient les unités des services à l’arrière du front notamment celles de l’armée territoriale.
L’armée territoriale
Pendant la Première Guerre mondiale, les soldats français ont été mobilisés de 21 à 49 ans. Des engagés volontaires plus jeunes ou plus âgés ont pu également servir.
Dans le parcours militaire de chaque soldat, les différentes étapes de ses obligations militaires, à la veille de la Grande Guerre, sont les suivantes :
L’engagement des territoriaux durant la Première Guerre mondiale
À la mobilisation d’août 1914, l’armée territoriale est affectée aux différentes tâches prévues avant-guerre. Mais très rapidement, plusieurs régiments d’infanterie territoriale (RIT) sont engagés dans des opérations militaires avec l’invasion du territoire français par l’armée allemande à la fin du mois d’août et au début du mois de septembre 1914, notamment avec l’investissement des villes et des places fortes du nord de la France, telle la place de Maubeuge. Lors de la bataille de l’Yser, dans la seconde moitié du mois d’octobre 1914, deux divisions territoriales montent au front.
Avec la fixation du front à la fin de l’automne 1914 de la mer du Nord à la frontière suisse, des régiments territoriaux viennent occuper, et ce jusqu’en 1918, les tranchées dans les secteurs calmes, comme ceux des Vosges par exemple. Ils sont alors équipés du fusil standard utilisé par les autres régiments à savoir le Lebel puis le Berthier.
Mais sur l’ensemble du front, la fonction principale des territoriaux, surnommés « pépères » ou « terribles tauriaux » par ironie par les combattants plus jeunes, est d’assurer les nombreux travaux et corvées au front même ou dans l’immédiat arrière-front. Ainsi sont-ils chargés de transporter les vivres, les munitions ainsi que le matériel (barbelés, madriers…) jusqu’aux premières lignes. Sur le champ de bataille, ils s’occupent du ramassage des corps et de leur inhumation. Ils se chargent également du creusement de positions défensives (tranchées, boyaux). En arrière du front, ils sont affectés à la surveillance et à l’entretien des voies de communication.
Avec les fortes pertes connues dans les régiments d’active et de réserve dès le début de la guerre, les plus jeunes territoriaux sont versés dans ces unités afin de combler les vides augmentant, par effet domino, l’âge moyen des hommes servant dans les RIT. On fait appel également de plus en plus aux classes d’âge les plus avancées amenant à la mobilisation d’hommes de 48-49 ans.
Ce glissement des éléments les plus jeunes de la territoriale dans l’active s’accentue jusqu’en 1918, année durant laquelle les régiments territoriaux sont presque tous dissous. De nombreux « pépères » sont alors affectés dans les autres régiments ou bien encore dans les unités de pionniers, c’est-à-dire des détachements de travailleurs.
Le rôle des territoriaux pendant la bataille de Verdun
L’image que l’on associe le plus souvent à la participation des territoriaux à la bataille de Verdun est celle des travailleurs affectés à l’entretien de la Voie sacrée. En effet, ils étaient plus d’un millier à travailler en même temps, jour et nuit, le long de la route reliant Verdun à Bar-le-Duc afin de combler des ornières créées par le passage incessant des véhicules. On estime de l’ordre de 700 000 tonnes, le volume de pierres déversé sur la chaussée afin que les camions ne s’embourbent pas.
Sur le champ de bataille même, les territoriaux participent aux nombreuses corvées afin d’apporter vivres, munitions et matériel jusqu’aux premières positions. Ils réalisent également sur le champ de bataille même des travaux de terrassement. Cela ne se fait pas sans pertes sous le feu intense et régulier de l’artillerie.
Les « pépères » sont plongés dans le même enfer que les combattants plus jeunes et paient souvent le prix fort, comme par exemple, lors de l’incendie du tunnel de Tavannes la nuit du 4 au 5 septembre 1916 où le 98e RIT, de Montluçon, est fortement éprouvé.
Ce qui est peut-être un peu moins connu, c’est l’engagement à Verdun de détachements de l’infanterie territoriale comme unités combattantes.
Ainsi dès le premier jour de l’offensive allemande, le 21 février 1916, des compagnies du 44e RIT, de Verdun, sont prises sous le Trommelfeuer dans les tranchées qu’elles occupent entre Brabant-sur-Meuse et le bois de Consenvoye.
On retrouve des territoriaux dans les différentes garnisons des forts, rétablies au mois de mars 1916 suite à la perte du fort de Douaumont. Ainsi, dans les effectifs de la garnison qui repousse les soldats allemands des dessus du fort de Souville le 12 juillet 1916, on retrouve des territoriaux du 6e RIT.
Ainsi les « pépères », combattants souvent méconnus ou oubliés, ont-ils également pris leur part de misère sur le champ de bataille de Verdun…
Qui sont les combattants de Verdun, au Mémorial de Verdun
Au plus fort de la bataille, plus d’un million d’hommes sont rassemblés dans le secteur de Verdun et dans les arrière-fronts français et allemand.
Ces hommes, âgés de 19 à 40 ans environ, vivent un immense brassage social. Appelés sous les drapeaux, ils ont quitté leurs métiers pour revêtir leurs uniformes. Cultivateurs, artisans, ouvriers, commerçants, employés, ecclésiastiques, intellectuels se côtoient dans les tranchées. Reflet de son importance dans la société, le monde rural est très représenté parmi les soldats. Tous ont reçu une formation militaire au cours de leur service obligatoire. Les combattants de Verdun viennent d’horizons géographiques très divers : les 25 Länder (régions) de l’Empire allemand sont représentés. Les troupes françaises proviennent de toutes les régions de France et de son Empire colonial d’où sont issus 15 % des effectifs cumulés engagés à Verdun. Chaque régiment – environ 2500 Français ou 3200 Allemands – est recruté localement. Les soldats combattent donc aux côtés de camarades qui partagent les mêmes références culturelles et parfois le même patois. Les pertes nombreuses obligent néanmoins à compléter progressivement les unités avec des nouveaux venus. Au cœur de ce drame, la plupart ont le sentiment de défendre leur pays, menacé d’invasion pour les Français, comprimé par l’étau Russie-France-Angleterre pour les Allemands. Ils accomplissent un devoir et en espèrent la fin rapide.
Un ensemble de vitrines et de tiroirs présente d’une part des équipements allemands, de l’autre des équipements français. Chaque tiroir ou vitrine présente une thématique particulière : la formation militaire, l’uniforme, les officiers, les troupes coloniales…
Les unités coloniales venues de tout l’Empire débarquent dans le sud de la France et suivent une formation militaire avant d’être engagées à Verdun. Pendant la première guerre, 450 000 hommes venus de tout l’Empire ont combattu en métropole.
Découvrez cet objet en vidéo avec le quatrième épisode de la web-série Découverte des collections !
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